Copropriété : L'agonie de la loi de 1965

 

Communication de Pierre OLIVIER, DG COPRO+ pour Universimmo.com le 28/02/15

 

La loi de 1965 souffre de maladies génétiques. Les médecins législateurs ont tenté de soigner les symptômes, sans traiter les causes, jusqu'à multiplier les effets indésirables. Aujourd'hui les enjeux de la transition énergétique précipitent son agonie et exigent une transition juridique.  

 

Quelle est l'espérance de vie d'une loi sur la copropriété ?

 

La loi de 1938, La première définissant le statut de copropriété aura vécu 37 ans jusqu'à la promulgation de celle du 10 juillet 1965, bâtie en urgence pour réparer une injustice de la loi mère : l'inégalité des droits des copropriétaires. C'est sur ce principe égalitaire des droits individuels et la définition des frontières entre parties communes et parties privatives que la loi de 1965 a organisé la gouvernance de toutes les formes de copropriétés pendant 50 ans. Elle doit sa longévité aux progrès de la science juridique qui après avoir imaginé ce montage hybride d'indivision forcée adossée à une entité de gestion, le syndicat des copropriétaires (SDC) a réussi à le faire avancer en contournant certains points de blocage par des inventions subtiles visant à détricoter la cotte de maille initiale trop rigide.

 

Ainsi sont nées les notions de parties communes à usage privatif suivies plus tard des parties privatives d'intérêt collectif censées ajuster la frontière des droits privatifs et collectifs.

 

Le dogme de l'égalité des droits a également été « assoupli » en créant des droits particuliers pour les copropriétaires du dernier étage, sans contrepartie, vis-à-vis des autres, afin de favoriser les possibilités de surélévation d'immeubles. A l'inverse les copropriétaires défaillants se voient privés de leur droit de vote sans bien savoir d'ailleurs comment ils pourront faire usage de leur droit de recours.

 

Le SDC, qui n'est pas propriétaire des parties communes, est curieusement autorisé à les vendre ou à les louer selon des règles de majorité inférieures à celle de l'indivision propriétaire (unanimité).

 

La mode de la division en volumes, censée remédier aux difficultés de gouvernance sur les ensembles complexes par le découpage en entités « gérables », devient inexploitable dès qu'une décision impacte l'ensemble immobilier, ce qui est le cas des programmes de rénovation énergétique. Les décisions « en cascade » sont encore plus difficiles à obtenir et à rendre incontestables.

 

La récente loi ALUR avec les dispositions visant à l'expropriation des parties communes est venue illustrer l'incapacité de la personne publique, même avec d'importants moyens financiers (les nôtres), à faire avancer ce « mammouth juridique ».

 

L'empilage progressif des dispositions visant à mieux informer le copropriétaire sur les décisions à prendre est un facteur de complexification. Le respect de l'orthodoxie juridique pour la répartition des charges, les rémunérations annexes dont celle du syndic, les moyens de financement, peut conduire dans un ensemble multi-bâtiments à inscrire plus de 100 questions à l'ordre du jour d'une assemblée statuant sur un programme de rénovation globale. Imaginez le découragement des copropriétaires… et du syndic.

 

Naturellement, sur le terrain, à chaque opération d'envergure, pour rester copro-compatibles et audibles nous faisons des entorses à cette orthodoxie, ouvrant par voie de conséquence la boîte de pandore de la contestation, arme fatale de l'immobilisme.

 

C'est pour cela qu'il y a plus d'avocats que d'architectes au chevet de la copropriété !

 

Le scanner de la transition énergétique a bien mis en évidence les tares génétiques du statut de la copropriété. Son pronostic vital est engagé. Elle souffre d'un défaut d'entretien quasi général parce que sa gouvernance et son mode de gestion comptable ne sont pas adaptés à cet effet.

 

Comme nous l'avons écrit dans notre ouvrage « Sauvons les copropriétés Ce qu'il faut changer » paru en 2011, puis illustré dans le cadre d'un projet PUCA en 2012, la cause profonde du défaut d'entretien est la séparation artificielle entre l'indivision des copropriétaires, propriétaire des parties communes mais dépourvue d'organe de gestion et le SDC chargé de les entretenir.

 

Sur le plan comptable cela empêche le SDC de mettre à son actif des biens (parties communes) qui ne lui appartiennent pas et doit donc considérer toute charge comme une dépense immédiate à couvrir individuellement après répartition.

 

Il est ainsi curieux de constater que l'administration fiscale oblige toute personne morale privée à répartir la charge d'acquisition d'un bien d'une valeur de plus de 500 € (par exemple une imprimante), sur une durée proportionnelle à sa durée de vie, ce que l'on appelle l'amortissement. La loi de 1965, à l'inverse, oblige la copropriété à considérer comme charge immédiate des dépenses de plusieurs millions d'euros. Cela pourrait donner à réfléchir !

 

Sur un plan pratique cela revient à ce qu'un copropriétaire peut utiliser un bien pendant une vingtaine d'années, consommer l'usure correspondante, puis quitter les lieux en laissant à son successeur le soin de réparer les outrages du temps sur l'édifice et les équipements communs.

 

Comprenez qu'il est tentant, avec ce mode de gouvernance laxiste, qu'un copropriétaire, nanti de son droit individuel prioritaire, tente de tout faire pour différer l'engagement de travaux (sauf les urgences) jusqu'à la vente de son lot.

 

Plus on diffère, plus cela coûte, l'ensemble immobilier devient moins attractif, la situation financière se tend et le niveau social baisse. C'est le point de départ de la spirale infernale si bien décrite dans le rapport Braye (2). 

 

En conclusion la loi de 1965 censée protéger le droit individuel de chaque copropriétaire aboutit, en fait, à bloquer le fonctionnement de la collectivité et par voie de conséquence à pénaliser chacun des copropriétaires.

 

Au plan public, les friches de logements dégradés causées par ce cancer devront être prises en charge par la personne publique (ORCOD, PDS, OPAH,….)

 

Les juristes et le législateur sauront-ils envisager l'euthanasie de ce montage, que nous praticiens considérons comme un véritable « serial killer d'immeubles » ou continueront-ils à proposer des soins palliatifs, en multi thérapie, avec de nouveaux effets indésirables ?

 

Dans la première alternative, la finalité prioritaire de la nouvelle loi sera d'entretenir les parties communes et pour cela d'inscrire et de comptabiliser ces parties communes à l'actif de l'entité chargée de les entretenir.

 

Mais alors comment concilier le droit individuel et cette indispensable approche collective ?

 

Pour résoudre des problèmes pratiques les juristes ont su, sans porter atteinte au droit de propriété, le démembrer en nue propriété et jouissance.

 

Pourrait-on imaginer sur le même principe un démembrement sur un autre axe, lorsque le bien se trouve en copropriété, une partie privative et une partie collective dont la gestion serait confiée à l'entité chargée de l'entretien de l'ensemble immobilier.

 

Dans les prochains articles nous vous livrerons nos suggestions d'organisation et de gouvernance pour que la prochaine loi ait une espérance de vie supérieure à celle de 1965

 

 

Favoriser l'accès à la copropriété c'est bien. Organiser les moyens de l'entretenir c'est mieux !

 

(1)     « Le carnet d'entretien et le plan comptable au service de la rénovation énergétique » projet lauréat du PUCA, conduit dans le cadre de l'association Planète copropriété en 2012

http://rp.urbanisme.equipement.gouv.fr/puca/activites/11_planete.pdf

(2)     « Prévenir et guérir les difficultés des copropriétés- www.ladocumentationfrancaise.fr